La villa se devine seulement depuis la mer.
Photo Eric DULIERE (photo d’archives)
Source :
Publié le 12/09/2022
–
La villa Nellcote, située à Villefranche-sur-Mer et propriété d’un oligarque russe, fait partie des biens saisis par l’Etat suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Une nouvelle étape dans la vie de cette demeure centenaire rendue célèbre par les Rolling Stones. Mais aussi par quelques rumeurs plus ou moins fondées.
C’est un beau domaine situé sur un promontoire de la rade de Villefranche-sur-Mer. D’un côté, le long de la voie ferrée qui serpente jusqu’à la frontière, la villa Nellcote est cachée derrière un intimidant portail noir et or. Depuis la mer, c’est derrière d’imposants pins maritimes que la demeure, construite au début du siècle dernier par le riche viticulteur héraultais Louis Eugene Thomas, se devine.
Sur cette villa, lieu d’exil des Rolling Stones au début des années 70, propriété d’un survivant du Titanic ou de diplomate célèbre, tout a été dit ou presque. Des rumeurs ont couru aussi. Au fil des ans, une a fait florès: Nellcote aurait été la propriété de nazis lors de la Seconde Guerre mondiale.
« Malheureusement pour le mythe, la villa n’a pas été la propriété des nazis »
« Non, j’en suis certain », assène Benoît Jarry. Celui qui a coécrit un ouvrage complet(*) sur l’histoire de cette demeure mythique ne veut pas laisser de place au doute. « Malheureusement pour le mythe, la villa n’a pas été la propriété de nazis ». Ou encore moins « un QG de la Gestapo ». Il rappelle toutefois que la presqu’île des milliardaires de Saint-Jean-Cap-Ferrat avait été fermée par les Allemands, de fin 1942 à fin 1943.
« C’était un endroit stratégique pour eux, qui étaient persuadés, à tort, qu’un débarquement se ferait par là », explique-t-il, en rappelant comment la baie avait été minée à l’époque.
Quand les Allemands se baladaient sur la presqu’île
Des militaires allemands ont cependant bien été présents dans le secteur. « Ils ont eu la possibilité de se balader sur la presqu’île et probablement de forcer quelques portes, d’aller dans des maisons, de dormir sur place. Certaines ont été dégradées », indique-t-il. Ce qui n’est pas le cas de Nellcote, assure Benoît Jarry. « Il n’est pas impossible que des personnes aient été interrogées dans les sous-sols de la villa lors de cette période ».
À l’époque, la maison état encore la propriété de la famille Bordes, qui en a eu la jouissance à deux reprises, de 1919 à 1953 et de 1960 à 1965. À l’occasion de leurs recherches, Benoit Jarry et Florence Viard ont interviewé Louise Bordes, la fille du propriétaire, l’un des plus grands armateurs mondiaux de la fin du début du XIXe siècle. « En 1946, elle était retournée à Nellcote et nous a assuré ne pas avoir souvenir de croix gammée dans le hall, comme cela a pu être écrit ».
L’été 1971, les Rolling Stones et une malle ornée d’une croix gammée
Un épisode plus récent sème pourtant le trouble. À l’été 1971, le photographe Dominique Tarlé passe une tête à Nellcote, où se trouvent alors les Rolling Stones. Ces derniers ont fui le fisc britannique et trouvent refuge ici, à quelques encablures de la presqu’île des milliardaires de Saint-Jean-Cap-Ferrat. C’est dans les sous-sols de la villa qu’ils enregistreront le double 33-tours, Exile on Main St.
Mais c’est aussi dans cette cave que Dominique Tarlé affirme être tombé sur une malle avec une croix gammée dessus. « C’était une caisse contenant de la morphine, m’a-t-il assuré« , raconte Benoit Jarry. Une malle, selon le photographe qui expliquera à d’autres personnes en avoir trouvé plusieurs, finira à la mer.
Une villa aujourd’hui estimée à plus de 125 millions d’euros…
Un demi-siècle après cet été mythique, la villa appartient à un oligarque russe Viktor Rashnikov, l’un des plus grands producteurs d’acier au monde, dont la fortune personnelle est estimée à plus de 10 milliards d’euros. « C’est lui qui l’a acheté, mais c’est sa fille Olga Rashnikova qui la gère », détaille celui qui a été journaliste à RMC dans les années 90.
Venu pour une journée, Dominique Tarlé aura passé l’été à Nellcote à photographier les Rolling Stones.
Photo Dominique Tarlé.
La villa, achetée plus de 80 millions d’euros en 2007, est aujourd’hui estimée à plus de 125 millions d’euros. « Ils ont fait près de 25 millions d’euros de travaux depuis et ils ont surtout acquis une villa attenante », poursuit l’auteur. Sur les vues aériennes, une belle piscine, de « 18 mètres de long sur 7 de large » est visible. Tout comme le parc d’un hectare qui va avec. « C’est un beau domaine ». Un beau domaine qui n’a pas échappé au ministère de l’Economie.
… qui n’a pas échappé à l’œil de Bercy
Si l’oligarque russe a échappé à la première salve de sanctions de la part de Bercy, il n’a pas échappé à la seconde. Depuis le 13 avril, Nellcote fait partie des biens des oligarques russes gelés. Et Benoît Jarry de faire remarquer ce doux parallèle. « À l’époque, la villa construite par le viticulteur avait déjà été saisie par l’Etat ». Une villa construite à l’origine pour accueillir ses amis allemands, suisses… et russes.
(*) Nellcote et les Rolling Stones, la véritable histoire d’une villa mythique, de Benoit Jarry et Florence Viard, aux éditions Le mot et le reste.